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Pour son exposition personnelle, Louise Vendel s’est immergée dans la riche et longue histoire du centre d’art, notamment en s’imprégnant des nombreux usages qui constituent et façonnent le lieu depuis sa construction. Si depuis des siècles, Les Eglises ont été traversées par tant de passage(r)s humains comme non-humains, c’est alors autant de récits potentiels qui se sont accumulés, stratifiés.
Avec Mon regard est tien, l’artiste tente de rendre tangible une mémoire constituée de narrations plurielles et non linéaires. L’ensemble se compose par touches, sur le papier et dans le lieu, Louise dessine dans et avec l’espace en imbriquant l’architecture comme le vecteur d’un échange intérieur-extérieur. Pour son dispositif de monstration, les formes de la « maison », en référence aux Eglises, opèrent une subtile mise en abîme. Ainsi les dessins sont installés tels des supports de perception dissociative du regard.


Par ses images l’artiste nous invite à voir à travers d’autres yeux : notamment ceux d’animaux qui ont perçu et perçoivent Les Eglises autrement. Cette transposition est pensée pour créer un décalage nécessaire, elle décentre le regard humain et l’intègre dans un point de vue symbiotique. La Nature est ici convoquée, presque partout et sous des formes variées, comme l’incarnation du vivant dans son ensemble, mais elle n’apparait pas en qualité de « création ultime » à imiter. Louise ne cherche pas à la représenter pour l’embellir, et donc ne cherche pas à la maitriser ou à la domestiquer. Ce geste de décentrement du regard est d’abord un renoncement, ou un appel à ne plus dominer le vivant formulant une invitation, par le fond et la forme, à habiter le monde autrement. Cette démarche réconcilie Nature et culture, trop souvent pensées en opposition. Penser l’Humain et son environnement dans une unité pour intégrer l’autre, l’ailleurs et l’altérité au centre de la vie est ce qui rend le désir d’autre chose toujours possible. En portant ainsi notre regard hors-champs, Louise nous rappelle qu’il est illusoire de vouloir réduire les choses à la représentation de ce qu’elles sont. L’artiste appréhende le lieu, son histoire et tous les protagonistes avec délicatesse, ouvrant les possibles de la subjectivité. Chaque singularité, chaque regard, devient les fragments d’un non-lieu, dans lequel nous sommes invités à déambuler. Ici, Louise postule le retour à un monde au-delà des cadres de perception. Ceux de ses images d’abord, et dans le même mouvement, elle repousse tous les cadres : idéologiques, politiques ou religieux. En formalisant un territoire sans norme l’artiste cherche à s’abstraire de tout rapport répressif. Avec le décentrement opéré dans chaque dessin, apparaît une forme d’inversion : entre le sujet et le fond, le regardé et le regardeur. Ce glissement nous rappelle qu’avant de devenir un sujet pictural symbole d’émancipation, le paysage apparaissait à la marge dans la composition. Cette libération créatrice s’apparente, à sa manière, à la fin des obligations religieuses dans l’Histoire de la peinture occidentale et avec elle le développement rapide de la peinture de paysage à la Renaissance. Le basculement d’une époque, un changement de paradigme ou le passage de l’obscurité à la lumière se caractérise par un pas de côté. Comme la terre n’est pas au centre de l’univers, l’Humain n’est pas le centre du monde.

 

Cette vision, assurément pas romantique, nous rappelle qu’une société produit et détermine son centre et ses marges. Les interactions qui en découlent hiérarchisent les relations en créant la contrainte d’une conformité à réaliser. Cet effet de coercition pose la limite qui définit la frontière extérieure de l’anormal, limite de laquelle Louise cherche, en inversant les regards, à s’affranchir.

 

 

Renaud Codron,

Commissaire de l’exposition 

«Mon regard est tien» 

 

Avril 2025



 

Jacques Rancière aime nous rappeler que « ce qui est requis du peintre pour que son œuvre égale la nature, c’est qu’il introduise sur sa toile l’exacte proportion de traits variés qui se fonde en un tout harmonieux. Mais cela veut dire aussi qu’il est constamment sur le seuil où la variété qui attire le regard doit se perdre dans l’unité qui le porte au-delà de lui-même» 1 .

 

Bercée par cette idée, Louise la distille dans les fragments de paysage qu’elle dessine. Ils proviennent

d’une forme d’intuition à «aller vers», à «aller dedans», mais surtout de ce désir d’aller «au-delà du visible»2 . C’est en cela que ses rameaux, marécages, nénuphars, ronces et insectes rendent saisissables ces instants arrachés au-dessus d’une palissade, derrière un grillage. Tel un intérêt porté à une vie secrète, à une nature que l’on voudrait intangible, mais éternellement fragile, Louise met pourtant à distance une vision romantique du paysage. Derrière les strates du paysage que Louise dessine, se manifeste d’abord un apprentissage de la nature. Cherchant à comprendre les ondulations, les articulations d’un arbre, les enchevêtrements de feuilles mortes, elle met en scène une reconsidération des lieux de vie partagés. De cette complexité, Louise sait pour autant s’attarder sur la beauté d’une fleur, de Bourrache de préférence, la première qu’elle nommera grâce à sa grand-mère. Ces parties, révélées par le délicat emboîtement du parfait trait et de l’imparfaite masse, se lisent au gré d’interstices, de percées, qui mettent à jour l’intrication du proche et du lointain. 

 

À l’instar de Nils Udo qui «touche l’écorce de l’arbre, observe le vol de l’oiseau, déguste le goût de la baie et, enfin, sent le parfum de la fleur» 3 , Louise nous invite à nous approcher au plus près de ce qui se joue dans l’environnement. Son travail cherche ainsi non seulement à nous relier à ce dernier, mais également à nous ancrer en lui.

Souvent, ses compositions mettent d’abord en scène une barrière, placée au premier plan. Les palissades, grillages et fenêtres sont pour elle une manière de mettre à distance, de séparer, tel le rideau au théâtre. Ces artefacts endossent également la responsabilité de capter le regard. Ce choix manifeste simultanément la volonté de révéler et celle, non moins audacieuse, de dissimuler. Ce jeu n’est pourtant pas frustrant. Il participe d’une relation intime au paysage. C’est dans cette relation du « cacher-révéler » que Louise met en scène l’invisible, ce qui se niche derrière, cette « part suggérée» comme elle aime àl’appeler. Ainsi, ces interdits endossent cette intention d’apprécier ce qui se situe de l’autre côté. Comme une égale façon pour l’enfant ou l’adulte de regarder ce qu’il y a au-delà. Rattrapée alors par sa curiosité, elle articule le légal et l’illégal, ce qui la sépare et ce qui la rapproche. La « complexité », qui est sans doute le grand critère du pittoresque, ne signifie pas pour autant que tout doit se mêler. Cela requiert que des éléments échappent à la vue, qu’on ne les comprenne pas. Si les premiers plans sont les témoins d’une précision, d’un focus au réalisme frappant, les éléments des seconds et troisièmes sont volontairement esquissés. Rien n’est ainsi parfait et c’est assumé. N’est-ce pas en cela que réside la véritable «maîtrise» ? Cet accident qu’on se permet de représenter. Pour le signifier autrement, la précision et l’imprécision. L’une manifestée par l’impersonnalité d’éléments manufacturés, tangibles (la palissade, la cabane, le rétroviseur...). L’autre, caractérisée par l’insaisissable nature, dans une tension entre la masse et le chaos du spectacle végétal et animal.

 

Louise mêle dans son travail l’archaïque à l’énigmatique, les temps immuables de la nature au fugitif de la modernité ; cette lisière entre le naturel et l’artificiel dans laquelle se manifeste son amour du dessin. Les motifs de fleurs, d’insectes, de végétaux peuplent son paradigme végétal. Le fusain, bâtonnet de saule, au caractère si charbonneux, est lui-même manifestation du cycle de la nature. Son emploi, par la vivacité du premier geste, d’un jet fécond, semble sublimer l’objet, le suspendre, ne retenir de lui et du réel que leur pure essence lumineuse. Ses peintures, quant à elles, étudient au plus près les phénomènes lumineux, les formes, les reflets et arrachent à la nature ses secrets. Ces éléments, finement accrochés aux supports employés, évoquent l’importance que Louise accorde au volume. Le dessin n’est ainsi jamais plat. Ses peintures jamais lisses. Son travail se pare d’un constant relief. Après tout, c’est peut-être cela une «bonne» composition : une somme de brisures et de fragmentations.

1.  Rancière, J (2020). 

Le temps du paysage. Aux origines de la révolution esthétique

2. Op. Cit.

3. Cité par Florence de Mèredieu (2017) dans 

Histoire matérielle & immatérielle de l’art moderne & contemporain 4ème édition.

 

 

Maxime Carcaly,

Co-Commissaire de l’exposition 

«Là où les ronces se délient» 

 

Décembre 2023



 

Le Store de Louise Vendel n’est pas sans rappeler ce que Mona Chollet appelle “le fantasme d’une biosphère à soi”*, cette tendance que nous avons à recréer l’extérieur à l’intérieur. L’oeuvre agit à la façon d’un trompe-l’oeil, un rideau de papier sur lequel est dessiné au fusain, dans une forêt ombragée, une cabane qui nous servirait de refuge. Cet endroit nous rappelle notre enfance, celle des cachettes et des silences infinis. Ce rapport au déplacement de l’espace intervient également avec Dug, ce tableau discret dont un chien tente de s’échapper. Entrain de fouiller dans un canapé, il rappelle une scène du quotidien qui témoigne de la survie de l’instinct animal, qui s’évertue malgré lui à chercher sa proie dans des coussins de velours. 

 

*  Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, 2020, Folio




Chloe Bonnie More

Commissaire de l'exposition collective

"Worst Case Scenario"

 

Avril 2021

(à propos de l'installation Still Life, Villa Belleville, Février 2020)
 

Louise Vendel questionne notre rapport à la nature. Dans son installation, sensibilité et rudesse d'accrochage semblent se frictionner. Tournant le dos à son dessin, l'arrière de la palissade s'apparente à une fausse décharge - puisque fait d'objets trouvés et interchangeables - qui aurait été envahie par une nouvelle espèce invasive de plante. L'agencement de ses oeuvres dans l'espace constitue ainsi une invitation à arpenter des espaces frontières possibles. L'idée d'un romantisme fantasmagorique vient alors s'entrelacer à celle d'une possible dystopie. L'adolescent présent semble ignorer les liens fondamentaux qui le relient malgré lui à une nature ubiquitaire. La situation derrière le dessin induit une fracture semblable, entre monde végétal et pollution industrielle. L'installation de Louise Vendel explore les limites inconscientes que l'on fixe entre situation intime et environnement commun, entre l'espace "de culture" et l'espace "de nature".

L'agencement de ses oeuvres dans l'espace constitue ainsi une invitation à arpenter des espaces frontières possibles qui sont la promesse d'un monde onirique dans lequel plonger, qui excède le réel tout en lui ressemblant trop fortement




Dimitri Levasseur,

Commissaire de l'exposition collective

"Le Radeau des Cîmes"

 

Février 2020

Louise Vendel
Trompe-l’œil, pince-oreille / 7ème sens

(à propos de l'exposition "Possiblement Nous", Galerie du Crous, Juin 2019)
 

 

Mêlant fréquemment ses dessins à des éléments architecturaux et à du mobilier de design qui ponctuent les espaces de ses expositions, Louise Vendel sublime la technique du fusain. Ses installations explorent les limites inconscientes que l’on fixe entre espace intime et environnement commun, entre l’espace « de culture » et l’espace « de nature ». L’agencement de ses œuvres dans l’espace constitue ainsi une invitation à arpenter des espaces frontières possibles - stores, grillages ou tapis - qui sont la promesse d’un monde onirique dans lequel plonger, qui excède le réel tout en lui ressemblant trop fortement.

 

Ancrés dans un réalisme sauvage, les paysages mentaux de l’artiste pénètrent l’exposition, s’immisçant  dans la réalité du spectateur sous différentes formes, en trompe-l’œil. Ils reflètent les réminiscences et les indices d’un monde extérieur oublié. La noirceur dans laquelle ils s’ancrent n’est pas sans évoquer un certain romantisme fantasmagorique, qui flirte avec une possible dystopie.

 

Par un phénomène de réversibilité, aux confins du renversement propre à l’ironie, l’univers confortable de l’espace d’exposition rappelle l’intimité d’un appartement, attirant et rejetant le naturel, le rendant aussi envahissant qu’inaccessible. Les mouches posées sur un mur blanc troublent ainsi la perception, le cadre « domestique » qui les encercle constituant un indice trop palpable de leur imposture. Le papier peint tombant dans une ondulation maîtrisée (que l’on pourrait aussi lire comme une fausse négligence) répond à la représentation d’un foyer embrasé noir et blanc, à la fois fait de charbon et tendant à en redevenir.

 

Au fil de sa déambulation, le spectateur fait ainsi l’expérience troublante d’un état naturel qui ne sera plus, ou qui ne survivra que dans l’écho produit par un espace clos. L’installation sonore Echo’s Travel , tout en produisant une lumière fantasmatique dans un espace obscur, transmet aux visiteurs de la pièce les sons et les paroles de ceux qui y sont demeurés avant eux. Louise Vendel nous rend témoins de l’insaisissable.

 




Violette Morisseau et Margot Nguyen,

pour Diamètre

 

Juin 2019

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